No pain no gain : une phrase remarquée

mardi 10 juillet 2012 à 13:17



Lorsqu'il s'agit de faire avancer les choses, d'amener les gens à faire un petit pas, aussi timide soit-il, toute occasion est bonne à prendre.
C'est pourquoi j'ai décidé de relayer l'article de Fred Marcérou, préparateur physique, dont la phrase : « le no pain no gain a ses limites » pourrait relever du blasphème si le projet de son article, où la phrase se trouve écrite, se voulait être la subversion. Comme ce n'est pas le cas, je récupère donc cette phrase en la mettant au service de la subversion...

Dans l'univers de la musculation traditionnelle, le no pain no gain, cette devise majeure, indique pourquoi et comment il faut s'entraîner : durement, en se faisant mal, comme si le seul moyen de parvenir à un résultat notable était de rendre un culte constant et déterminé à la souffrance. « Il faut se faire violence » lit-on régulièrement, entend-on régulièrement, sans jamais que soit posée la question de savoir où peut bien mener cette violence continue.

Il faudrait, paraît-il, prendre les situations frontalement, toujours chercher le conflit, l'affrontement, à commencer par un conflit ouvert avec soi-même, en se désignant comme son propre adversaire. Il faudrait se vaincre soi-même. Et, dans cette optique, tous les moyens sont bons pour faire plier le pire de nos ennemis : soi-même.

Le no pain no gain est comme la partie émergée d'un iceberg : ce ne sont que quelques mots qui signalent une idéologie. C'est-à-dire un système de valeurs où chacun doit se comporter héroïquement et aller au devant de la souffrance, en la provoquant, en la recherchant. Ce serait le seul moyen de progresser, de devenir plus fort.



Contourner un problème, éviter un conflit, ce serait être faible.
Et les adeptes du no pain no gain refusent de passer pour des faibles, ni aux yeux des autres, ni à leurs propres yeux. Un véritable héros affronte toujours l'adversité, il ne recule pas, il provoque et doit même mourir au combat s'il veut avoir un peu de valeur à ses propres yeux.
Ce serait cela être « viril », être (mentalement) fort... On comprend donc que, pour devenir (physiquement) fort, il faille pour certains paraître fort, c'est-à-dire être dur avec soi-même : aussi dur avec soi-même que l'on veut devenir fort.

Et, dans la salle de gym, est recréée quotidiennement le mythique affrontement des spartiates contre les perses. Sauf que le pratiquant de musculation est à la fois spartiate et perse, car il se combat lui-même. Et, s'il savoure cette bataille avec une délectation masochiste, en vivant profondément sa « lutte contre les poids », il faut bien se dire qu'il finira à un moment ou à un autre par vivre aussi l'issue de cette bataille; il finira bien par en vivre la FIN...
S'identifier à un spartiate quand on pratique la musculation n'est pas bon signe...



Ce système de valeur, cette idéologie que véhicule le no pain no gain, va tellement de soi pour beaucoup de gens, que l'idée même de progresser (en tous domaines), en contournant les problèmes ne peut être qu'absurde, impensable, et même... haïssable.

Mais enfin ! hurlent-ils en s'égosillant, Pour avancer, il faut des coups de pieds au cul ! Il faut se faire mal ! La vie, c'est comme ça !
C'est peut-être comme ça, pour eux, mais ce pourrait être autrement. Ils ont cependant bien du mal avec cette idée.

On se doute qu'une telle addiction est le résultat d'un enseignement commencé très tôt et maintes fois réitéré : une pédagogie de la violence, appliquée consciemment ou fruit des circonstances. Et on n'a aucun mal à imaginer l'enfant, puis l'adolescent, face à l'arbitraire de ses parents (violence, humiliations, rejet), face à l'arbitraire de la vie en société où le faible souffre du besoin de vengeance de tant d'enfants maltraités, face à l'arbitraire de la nature (maladies) et la malchance (accidents). Tous ces moments, où le jeune a appris la « dure leçon » : tout ne serait que pression, douleur, violence, frustration.
Et si personne n'a été présent pour relativiser ces moments, il en déduit que le no pain no gain est la règle à adopter, partout et toujours, pour ne plus jamais se sentir faible, impuissant.



Parfois, le no pain no gain marche. On avance, on s'élève, à force de coups, à force de « fouetter la bête ».
Puis cela retombe. Toujours cela retombe...
Cela finit toujours par s'effondrer, se briser, morceau par morceau, ou d'un seul coup.

C'est toute la « magie » de l'éducation « à l'ancienne »... De la frustration, elle fait naître le besoin de frustration; de la souffrance, elle fait naître le besoin de souffrance.

Et cette éducation est fort ancienne, en effet...

« Ma pédagogie est dure. Il faut éliminer la faiblesse. Dans mes Ordensburgen, nous formons une jeunesse dont le monde aura peur. Je veux une jeunesse violente, dominatrice, courageuse et cruelle. Il faut qu'elle sache endurer la souffrance. Elle ne doit rien avoir de faible ni de tendre. Que l'éclat de la bête féroce libre et magnifique brille à nouveau dans ses yeux. Je veux que ma jeunesse soit forte et belle... C'est ainsi que je pourrai créer l'ordre nouveau. » (Adolf Hitler)

On voit où cela mène de vouloir créer par la violence un ordre nouveau, que ce soit en soi ou hors de soi...

Malgré les leçons de l'Histoire, malgré ses effets que tout le monde connaît bien, les ravages de la « pédagogie noire » (selon les termes d'Alice Miller) se constatent encore partout.
Et, dans le domaine de la musculation traditionnelle, les dégâts s'additionnent : problèmes de coeur, de tendons, d'articulations, de colonne vertébrale, d'épuisement, pour le seul pratiquant « naturel ». A cela s'ajoutent les problèmes de santé dus à l'usage des stéroïdes ainsi que les problèmes psychologiques : agressivité, dépression, socialisation ratée, repli sur soi, etc.
Le no pain no gain conduit tôt ou tard à un effondrement, du corps et de l'âme.

Malgré ces évidences, cette devise perdure, certainement du fait de ce qui la porte : le besoin effréné d'être fort (musclé), le besoin (à combler absolument) de ne plus jamais se sentir impuissant. Ce besoin agit tel une toxicomanie : puisque l'on veut absolument se muscler, puisque l'on ne connaît que la « solution » du no pain no gain, alors on suit la voie du no pain no gain, quel que soit le prix à payer un jour. On y va, on y revient perpétuellement, on répète... jusqu'à en mourir.



Aussi, lorsque la Méthode a commencé son chemin, il y a plus de huit années, les réactions ne pouvaient qu'être extrêmement violentes dans cette frange des pratiquants de musculation (amateurs ou professionnels) vivant le no pain no gain comme une religion.
Alléger les charges, s'entraîner moins souvent et moins longtemps, subordonner la construction du corps à la construction de soi, tout ceci sonnait comme une provocation.

Non seulement la Méthode Lafay a tenu un discours bannissant toute forme d'autodestruction, mais l'entraînement qu'elle a proposé entrait en cohérence avec ce discours. Les résultats évidents de milliers de pratiquants ont démontré qu'une pratique alternative de la musculation pouvait extrêmement bien fonctionner.
J'ai commencé par toucher des personnes que l'éducation ou la sensibilité rendait imperméables à une approche no pain no gain de la musculation. Puis la logique implacable de la Méthode a convaincu d'autres personnes, désireuses de tester une autre voie.

A la place de l'affrontement permanent, j'ai proposé le contournement majoritaire.
A la place de la compétition avec soi-même, j'ai proposé la coopération (avec soi).
Le no pain no gain s'est effacé pour laisser place à l'efficience .



L'engouement considérable suscité par la Méthode (n°1 des ventes depuis près de 8 ans) a bel et bien confirmé qu'une autre approche de la musculation était possible, et donc qu'un autre enseignement était viable.
Les idées exposées dans mes livres et articles ont donc de plus en plus tendance à faire tâche d'huile, ne serait-ce que par la loi du marché (phénomène de concurrence).
Le regard des professionnels sur les charges légères a évolué, leur regard sur les séries longues aussi, et ils commencent timidement à douter du no pain no gain.

J'ai en effet commencé par être repris pour mes apports tactiques (séries longues, charges légères, repos courts, emploi du poids de corps) avant d'être repris sur le plan stratégique; car il est toujours plus facile de changer des éléments dans le système que de changer l'idéologie qui tient ce système. Rejeter le no pain no gain, c'est TOUT changer.

J'ai retenu l'article de Fred Marcérou (que vous pouvez lire en cliquant ici ), non pas pour son fond théorique, mais pour l'utilisation "directe" de la phrase : « le no pain no gain a ses limites ». Cette phrase m'a interpelé. Je l'ai ressentie comme une relativisation de la toute-puissance du dogme, au-delà des conseils avisés de Fred Marcérou, dont le but premier était de recommander, arguments scientifiques à l'appui, de s'entraîner moins pour progresser plus.
J'y ai donc vu plus que ce que Fred Marcérou a voulu y mettre, en utilisant cette phrase ambigüe comme une porte d'entrée, un prétexte, pour une nouvelle réflexion sur le no pain no gain en tant qu'idéologie.



Fred Marcérou ne dit pas, contrairement à moi, que le no pain no gain est une absurdité, il affirme juste, arguments scientifiques à l'appui, que ce n'est pas toujours la meilleure solution. Que ce n'est pas toujours LA solution.

La brutalité envers soi n'est donc pas remise en question, c'est seulement l'aspect totalitaire (idéologique, exclusif, absolu) de cette brutalité qui est visé.
Il faut toujours être dur avec soi, être violent, mais... un peu moins. Les éléments scientifiques avancés permettent d'affirmer qu'un stress très élevé et permanent serait contre-productif. Aussi, on en conclut que la violence envers soi doit être atténuée, mais non supprimée.

Cette gestion de l'entraînement proposée par Fred Marcérou n'est donc pas celle que propose la Méthode Lafay, dont la logique de contrôle de l'effort permet une progression constante en limitant au maximum les phases où l'on force durement.

Néanmoins, si l'on transgresse la règle absolue du « tout donner à l'entraînement », du « ça passe ou ça casse! », si l'on y introduit une réflexion sur les « limites », n'est-ce pas déjà affadir l'idéologie, l'affaiblir, la ramollir?
N'est-ce pas déjà commencer à remplacer ce no pain no gain (sans limites, par définition) par une logique de contrôle de l'effort (avec limites, donc)?
Mais c'est toujours rechercher un arrangement avec le no pain no gain, en lui posant des bornes, plutôt qu'en pensant à trouver des solutions pour l'éliminer.

J'ai déjà lu auparavant des réflexions isolées sur le no pain no gain, mais qui n'ont jamais affecté la logique globale de la musculation traditionnelle. Ces réflexions sont restées périphériques, un peu comme une crise épidermique, soudaine et éphémère, provoquée certainement par la tentative d'irruption du bon sens au milieu de tant de dégâts aisément constatables.
Ces réflexions n'ont pas mené bien loin, peut-être tout simplement parce qu'aucune solution ne paraissait envisageable : il fallait soit se faire mal pour progresser, soit adopter un entraînement « plus doux » mais ne procurant guère de résultats.

Ce qui a changé, c'est que la Méthode Lafay propose désormais une autre voie, viable, vérifiable, aux résultats probants. Des centaines de milliers de gens adhèrent désormais à ce type d'entraînement. L'environnement dans lequel est publié l'article de Fred Marcérou a donc changé. Qui sait? Peut-être que cet article et la manière de l'intégrer à ma réflexion sera source d'un riche débat, et peut-être même un point d'entrée pour que l'entraînement alternatif de la Méthode, anti-no pain no gain, pénètre plus profondément dans le milieu de la musculation traditionnelle.



Bien sûr, si cela se fait, cela ne se fera pas sans mal, et il faudra du temps.
Progressivement, on pourrait donc voir de plus en plus de gens abandonner le no pain no gain. Il s'agira, comme dans la Méthode, de ne plus vouloir compenser par la violence son sentiment d'impuissance ou de tenter de vaincre ses faiblesses en étant rude avec soi "au-delà du possible", mais de les dépasser en inventant des accords de coopération entre soi et soi. Et, pour ce faire, le premier pas, timide, consistera à se mettre déjà en situation de ne plus être victime de ses propres abus.
Car, ne plus vouloir être faible, ne plus vouloir être victime, demande avant tout de ne plus se traiter comme le ferait un bourreau, à chaque entraînement : ne plus se mettre en situation d'être victime, tôt ou tard, de sa propre violence.

Posté dans Philosophie
Olivier Lafay